Nous avons commencé la prospection déjà depuis Kalgrac’h, car un sentiment nous anime, est-ce que les phoques se mettent à l’abri avant le mauvais temps ? Si c’est la cas cette baie entre le fort de Kernic et la pointe de Kadoran serait idéale.
Après avoir laissé les vélos contre le fort, nous continuons à pieds, il est des plus attentifs toute forme, un mouvement dans les vagues, toutes les entrées dans la falaise sont observés.
Les phoques gris n’ont pratiquement été vus qu’en mer, les voir sur la grève est chose rare et c’est ce qu’il cherche. La marée sera basse vers quatorze heures et l’hiver est l’époque où les femelles mettent bas.
- Muriel, je suis persuadé que si les phoques nichent aux Sept îles, ils peuvent aussi faire naitre un jeune ici.
- Le site n’est pas assez tranquille, Yann
- Je souhaite que tu puisses lire le livre de Thomas O’Crohan « L’homme des îles » sur les rapports qu’avaient les hommes avec les phoques à cette époque.
C’est la deuxième fois qu’il me parle de ce livre écrit en 1925 et qui est sans cesse réédité sur la vie des îles Blasket dans l’Irlande du 19e siècle.
Pendant qu’il m’en parle, je pense qu’il a dû être impressionné par le fait que les gens soignaient leurs grosses plaies avec la chair des phoques.
Quant à moi, Je lui explique mon livre du moment, Saint Kilda, l’île hors du monde de Tom Steel sur les dures conditions de la vie de ses habitants.
Je l’invite à s’asseoir à la pointe, il n’a pas refusé, c’est le moment de lui parler, nous sommes installés dans l’axe de l’île Keller, et de endroit, elle se sépare nettement d’Ouessant, les peintres aiment venir ici.
Sa main se pose sur la mienne, je mets ma tête sur son épaule, il m’accepte avec tendresse.
- Yann, J’ai quelque chose à te dire.
- Je t’écoute : dit-il avec chaleur
- Je vais peut-être mourir.
Il ne répond pas tout de suite…As t-il comprit ?
- C’est de ce que tu as voulu dire chez ta grand-mère ?
- Oui, c’est la première fois que j’ose dire le mot mourir.
- Et de quoi ?
- J’ai un cancer du sein
- Oh merde…. !! tu es certaine.
- Malheureusement oh que oui.
- Depuis quand,
- Depuis que tu m’a vu la première fois avec Jean-Yves, je revenais de Paris.
- Et c’est pour cela que tu dois aller à Brest
- Oui pour commencer la chimio
- Oh, cela me fait tout drôle, que tu me dises cela
- Tu es la première personne à qui j’en parle aussi directement
- Il faut que tu ailles confiance en la médecine, et puis tu es jeune.
- Trop jeune pour ça en tout cas
Le silence fût long, je ne savais pas à quoi il pensait…. ?
- Rennes – Brest ce n’est pas trop loin, j’irais te voir… !
- Je ne serais pas belle à voir….sans cheveux.
- Ne dit pas de bêtise... !
- C’est pourtant vrai….enfin voilà, je tenais vraiment à te le dire, c’est peut-être pour moi la façon enfin d’accepter ma maladie.
- Oui j’imagine que cela ne doit pas être facile d’y croire
- Comme tu dis….belle saloperie en tout cas.
- On marche…si tu veux bien….tu m’as assommé.
- Tu aurai préféré que je te dise rien
- Non, non….mais cela me fait mal aussi
- Je comprends ce serait la même chose pour moi.
- Il me fit un bisou sur la joue.
Nous avons repris la marche….un bon moment avant de pique-niquer….et après avoir retrouvé le phoque, nous sommes à l’abri du vent qui commence à forcir….je lui fait remarqué qu’il vaut mieux rentrer, et nous nous serons contre le vent.
- Je le regarde une dernière fois, car il est installé juste à la pointe, je fais quelques photos au télé.
- Le ciel se bouche de plus en plus, aller vite on rentre.
Au bourg, avant qu’il ne rentre, je l’invite à prendre quelque chose à la maison. Nous sommes installés comme deux clients, maman viens même nous servir, et nous lui parlons du phoque.
Corinne est venue nous voir aussi, elle c’est même assise deux minutes, et bien sur tous les clients le regardent, mais ils savent aussi ma passion pour les oiseaux, et comme il a ses jumelles autour du coup cela n’étonne personne, d’autant plus que nous sommes à la maison, cela n’aurai pas été le même chose dans un autre bar du bourg
Corinne viens nous dire que Mamie a appelé pour savoir si nous étions rentrés et qu’il revienne vite, avant la pluie….nous disons au revoir, il part seul je reste.
En le regardant partir, je m’en veux presque de lui avoir dit, peut-être qu’il n’a pas osé embrasser une malade à Kadoran, pourtant j’aurai aimé un vrai baisé d’amoureux.