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mardi 16 octobre 2012

3 - Claire.

Sur cette pointe de Pern, sauvage et mélancolique, d’une immense beauté ou d’un intense désarroi, selon ce que les éléments en auront décidé, se trouve la première maison de France.

Sa position extrême et isolée fascine et intrigue, pour certains, c’est une vie de réclusion, pour d’autres, de liberté, mais à Ouessant, sur cette île de contraste, un coin de paradis peut aussi devenir l’enfer.

Toute la pointe est une vaste prairie totalement dépourvue d’arbres où seuls quelques tamaris résistent à la force des vents.
Situé sur un des points les plus hauts, jadis, un meunier avait trouvé là le site idéal. Aujourd’hui, l’on peut encore voir le fût près de la maison.
Le village de Loqueltas est groupé plus bas, plus loin, comme pour se mettre à l’abri. Dans cette grande pointe du bout du monde, habite la grand-mère, de Muriel, Claire.

Elle avait fait un beau mariage et toute l’île la savait heureuse, « elle s’en était sortie ».
Un capitaine de passage fasciné par la baie de Yusin, l’avait été aussi pour sa grand-mère, son mariage l’avait conduite dans la Charente. Revenant souvent dans la maison de son enfance dont elle avait hérité à la mort de ses parents, elle n’avait jamais oublié son île, pourtant Rochefort n’était pas très proche et pour l’époque la traversée avec le premier vapeur, La Louise, en faisait une expédition. 

Puis elle avait dû suivre à nouveau son mari pour Madagascar, personne n’avait plus eu de leur nouvelle pendant plusieurs années.

C’est bien plus tard qu’elle était revenue avec trois enfants, dont le père de Muriel, dans cette nouvelle maison qu’elle avait acquise dès son retour. Personne n’a jamais vraiment su ce qu’était devenu son mari, mais il est certain qu’elle n’a jamais connu un autre homme pour refaire sa vie. Son installation si loin de tout était-il un refuge ? Car son passé ressemble à sa vie.

Son père, d’origine galloise avait fuit son pays au début du siècle. Marin il avait vu les côtes de France d’un peu trop près, C’était un ancien naufragé à Molène secouru par les îliens, il avait sans doute été séduit par l’île et ses habitants, puisque quelques mois plus tard, il était revenu de son plein grès pour partager sa vie avec l’une de ses femmes.
Comment cet amour était-il né ? Nul ne le su jamais !

De cette union était née sa grand-mère, Claire Skréo, pourtant il s’appelait Gwernig.

C’est bien plus tard, qu’ils s’installèrent sur Ouessant. Et pourquoi avaient-ils quitté Molène ?
C’est aussi bien plus tard, que Muriel avait compris aussi le pourquoi de Skréo, c’est le nom que donnent les Ouessantins aux habitants de Molène, comme les Molènais nomment les Ouessantins « maout ».

Elle avait aussi connu une éphémère gloire, un romancier avait parlé d’elle dans un de ses livres « Les filles de la pluie » Prix Goncourt en 1913. Elle n’en avait tiré aucun mérite, peut-être même s’en serait-elle passée et cela n’avait en rien changé sa vie.

Aujourd’hui Claire, a maintenant un grand âge très respectable. Tous les vendredi elle se rend au bourg, mais avant avec les fleurs de son jardin, elle fleurie l’autel de Saint Gildas où elle s’y recueille longuement, puis elle va chez à sa seule amie Soazic.

Le chemin qui y même est celui de Cost ar Reun, bordé de murets en galets entourant de petits jardins dont la plupart sont envahis de ronces, fougères et parfois de saules rabougris par la force des vents.

Si les maisons n’avaient pas les portes et les fenêtres ouvertes, on pourrait croire que toute vie a disparue dans ce lieu.

Claire porte encore son costume « Ouessantin » qu’elle a bien modifié à son goût soit pour le rendre plus gai, moins sombre, toujours est-il que l’unanimité n’y est pas !
A la place de la coiffe noire, elle en met une blanche qu’elle noue avec un ruban de satin bleu pâle. Sur ses épaules, elle place un grand châle de couleur paille frangé de lacets de soie. Il se ferme sur le devant par une broche au ras du cou. Son châle de laine lui couvre les épaules jusqu’au avant-bras, la poitrine et le dos. 

Elle dissimule partiellement sa jupe ample et noire d’un tablier blanc, qu’elle noue avec un large ruban strié bleu pâle, rappelant ainsi celui du bonnet. Plutôt que les traditionnels collants noirs, elle en met des blancs, Il en reste de la sorte, que les chaussures, la jupe et le corsage dans ce même ton. 

Elle a malgré tout beaucoup d’allure de la sorte, de part sa grande taille, son costume plus jeune, son pas décidé, et surtout ses yeux bleus océan. Elle ne soucie guère des traditionnalistes qui ne considèrent que le seul costume noir pour les femmes âgées.

Quelques maison plus loin, Soazic est dans son jardin, comme d’habitude, comme pour passer le temps, et en l’attendant. Chacune d’elle espère le moment du café à la chicorée.

Soazic lui parle de son mari, marin dans la marchande et de sa déception de savoir qu’il débarquera à Anvers plutôt qu’au Havre ; car si le transport lui est payé, il y a malgré tout une perte de temps qui ne pourra pas être rattrapé.

Elle se réjouit du retour de son mari pour la vaine pâture, même si cela n’est pas difficile elle préfère que ce soit lui qui relâche les moutons en liberté jusqu’en février prochain.

Claire dévoile, le motif de sa visite dans le bourg, qui est de rencontrer sa petite fille Muriel, avant que celle-ci ne rentre chez elle.

Soazic sait comme tout le monde sur l’île, que Claire est en froid avec son fils, car il a un penchant pour l’alcool et que la vie qu’il fait subir à sa famille est assez pénible. 

Claire parle à Soizic de la passion de sa petite fille, pour les oiseaux, et qu’il lui sera difficile de la vivre sur l’île, même si depuis qu’elle est petite, elle a suivit Mr Julien pour baguer les oiseaux, 

Comme beaucoup de jeunes Ouessantines, il est beaucoup plus difficile de se faire un avenir, sur l’île que pour les garçons, qui eux serviront dans la marine marchande ou la royale, et reviendront à chaque escale, alors que pour une fille c’est souvent plus compliqué.

Soazic dit à Claire, que Muriel a peut-être un avenir dans les livres, car elle a tellement emprunté de vieux livres sur Ouessant aux uns et aux autres que tout le monde sait sa passion pour les livres et les vielles cartes postales sur Ouessant.

Après le Kénavo ar wec’hal, traditionnel, elle reprend son chemin vers le bourg, non pas au plus court, mais par le gouzoul, le moulin du Kun, le Niou, et jusqu’au bourg. Car la beauté du parcours avec la mer est toujours en toile de fond, c’est aussi un des chemins de son enfance.

La mer est moutonnante, les rouleaux des vagues sont visibles depuis Kérouat, les fous de Bassan passent près des côtes, elle les voit très bien à l’œil nu. Au loin le Kensy est blanc des brisants, il fait vilain en mer, elle ne peut s’empêcher de penser à la traversée du Fromveur.

A Poull-Féaz, elle s’arrête pour voir le marais et sa roselière ou elle aimait se cacher étant enfant. Les roseaux étaient sa seconde mer, le vent y formait des vagues en y imitant le bruit du ressac.

Au loin, son regard allait toujours vers son ancienne maison de Kergadou. En marchant avec ses souvenirs, elle réalise en arrivant au bourg que la marée est basse. Le vent du sud-ouest transporte le parfum des senteurs océanes. A marée haute, celui-ci est moins fort, plus doux, plus délicat car les algues se découvrent moins ou pas du tout.

Ici la mer est un élément de la vie, nul besoin de la voir pour connaître son état, elle se manifeste par d’autre sens, le bruit, l’odeur.

Après une longue descente, Claire arrive sur la place de l’église, et son premier regard se porte en face, vers la route venant du Stiff afin de voir si les gens arrivent déjà du bateau. Cette place au centre du bourg est aussi un carrefour important de l’île, elle est traversée par la route principale allant du Stiff au Créac’h. De là, des rues desservent le bourg, le port de Lampaul, le sud et le nord. 

Sur cette place, une petite mercerie, tout en long. Elle est coincée entre un escalier de pierre qui même dans les hauteurs, et une épicerie, Sur un des côté l’église, en face l’unique médecin et la boulangerie d'Erma. Dans la partie montante terminant la place, d’autres commerces, cafés, restaurants, hôtels.

(lire la suite sur "Messages plus anciens" il en sera ainsi à chaque bas de page)