A peine la nuit était-elle tombée que le vent avait forci, il amenait des rafales de pluie, d’écume volant dans l’espace, les fils électriques sifflaient. Le rouge-gorge du jardin pourtant si volubile d’ordinaire, s’était tu, de temps à autre le corne de brume mugissait. Yann avait voulu sortir, bien qu’il n’était soit sur le chemin protégeait par les tamaris soit à l’ombre du pilier Est, son ciré dégoulinait et il était heureux de sentir le vent tout en regardant le Créac’h.
Une petite demi-heure suffit avant qu’il ne rentre, il avait passé la soirée avec Claire….elle impassible lui excité comme une puce, elle n’en rajouta pas, ce n’était pas dans sa manière d’être.
A chaque bruit qui lui semblait bizarre, Yann regardait le plafond en se demandant si le toit n’allait pas s’envoler. Pour Claire, le coup de vent n’était pas vraiment terrible même si le baromètre était assez bas. Son toit tiendrait….il en avait vu d’autre et même si une ardoise se descellaient, les autres tiendraient.
Le vent pouvait toujours s’acharner sur son toit, faire grincer les volets, flanquer des coups de boutoir sur le pignon plein Ouest, venir siffler sous les portes, descendre par la cheminée, Claire ne s’affolait pas….court toujours, court toujours.
- Vous voulez un autre thé ?
- Oui madame
- Vous refusez toujours obstinément la Louzaouen ar chousked….Ces soirs là, c’est elle qu'il faut prendre !
Il ne répondit pas, elle n’insista pas. Elle était sur son rocking chair, son plaid sur les genoux, Il était assis dans le fauteuil près du poêle à mazout, un Air-flamme qui était le seul chauffage qu’elle pouvait allumer pendant les tempêtes, de temps en temps quelques gouttes tombaient sur la plaque de fermeture de la cheminée.
- J’aurais aimé la voir en plein jour
- Parce que vous croyez peut-être que demain tout sera calme ? Oh mais non garçon, n’ayez crainte, vous allez la voir vivre votre tempête et peut-être même aller vous souhaiter qu’elle s’arrête.
- Pourquoi ?
- Parce qu’à cette période de l’année, cela peut durer pendant facilement 3 jours, j’ai vu une semaine durant. J’ai même eu un hiver avec deux mois de tempête avec seulement un court répit entre.
- Comment savez-vous qu’elle va durer ?
- Demain matin avec mon baromètre…..avant d’aller dormir prenez donc quelques biscuits.
Au même moment, la corne à brume se remit à mugir et le vent semblait redoubler de violence.
- Rassurez-vous, dans les rafales c’est toujours ainsi, le faisceau lumineux se trouve coupé et la corne se met en marche automatiquement.
- C’est automatique ?
- Oui, je vous ferais voir le faisceau lumineux je vais même vous conter une anecdote, en pleine été par grand soleil, un homme du village faisait brûler ses mauvaises herbes et coupa le faisceau à cause de la fumée, la corne s’est mise en marche, je peux vous dire que tout le village et même d’autres sur l’île se sont posés des questions ! certain on cru à un banc de brouillard subit d’autre à la panne, en tout cas l’homme a vite éteint son feu et il en a entendu parler par les officiel… ! Tant que la corne ne dure pas, c’est uniquement à l’opacité des grains dû à la violence des vents…..vous aller vous y habituer, elle ne vous empêchera pas de dormir, parfois je ne l’entends plus, je n’y prête plus attention…..Vous aller prendre le livre pour savoir lire les signes du ciel et il vous endormira, car sinon avec votre thé, vous ne fermerez pas l’œil de la nuit !
Yann prit le livre, la remercia, ils se dirent bonsoir et il partit s’enfermer dans sa chambre….Claire rangea un peu, puis alla pétrir son pain, c’est sa façon à elle de s’occuper pour oublier la tempête.
Bien plus tard, lorsqu’elle alla se coucher, elle remarqua un rayon de lumière sous la porte.
Dès le lendemain matin, alors que Claire était dans sa cuisine, elle entendit le klaxon de sa belle-fille Christiane, elle venait la livrer.
- Quel temps, ma pauvre Christiane ! Et c’est parti pour durer, le baromètre n’a pas bougé.
- Encore un Noël qui s’annonce avec la pluie, et ton pensionnaire, comment va-t-il ?
- Il m’a bien fait sourire car dès le premier coup de vent hier soir, il était dehors ! un quart d’heure après, il est rentré comme une soupe et à chaque bruit durant la soirée, il regardait mon plafond…. A trois heures du matin, il ne dormait pas encore.
- Il est déjà sorti ?
- Penses-tu, il dort comme un loir !...
Christiane se mit à rire et dit :
- Et il veut vivre à Ouessant !.... A ce propos comment le trouves-tu ?
- Bien que jeune, il est bien équilibré, agréable à vivre, à parler, séduisant, très ouvert et franc, je le pense….Tu prends un café avant de partir, tu goûteras bien mon pain en même temps.
Pendant ce temps, Yann avait fait son apparition enveloppé dans une épaisse robe de chambre, béguens aux pieds, ce que remarqua tout de suite Christiane.
- Bonjour mesdames : dit-il en frappant discrètement à la porte.
- Venez donc prendre un café, asseyez-vous
- Vous avez bien dormi ? demanda Christiane
- J’ai trouvé le sommeil assez tard
- Si vous aviez pris ma tisane plutôt que votre thé !
- Je crois bien que c’est surtout le bruit du vent et de la corne à brume.
- A ce propos, votre tempête vous a attendu, elle est toujours là
- Oui, je m’en suis rendu compte, cela va-t-il s’arranger ?
- Vous en avez déjà assez ? demanda Christiane.
- Non, mais c’est pour le bateau
- Vous voulez déjà nous quitter ?
- Non, j’ai envie de régler un problème, il vaut mieux que je parte pour cela, je me plais beaucoup sur votre île, je vous l’assure.
- On vous croit dit Claire en regardant sa bru.
Christiane précise qu’il risque de ne pas y avoir de bateau
- C’est vraiment urgent ?
- Bien sûr que non, mais cela me semblait plus honnête de le faire rapidement.
- Je le serais vite et j’appellerai Claire, le voulez-vous vraiment
- Oui, si cela est possible
- C’est entendu
A ces mots, Yann alla faire sa toilette, Christiane chargea quelques casier vides dans le break, Claire lui dit en riant :
- N’oublie pas le bateau ! lui dit ironiquement Claire.
- Non : lui répondit-elle d’un signe de tête, visiblement soulagée.
Une fois prêt Yann prit le chemin des grèves muni d’un bon ciré et milles recommandations de prudence de Claire. En descendant le chemin vers la pointe de Pern, la puissance du ressac né de la violence des vents faisait éclater les vagues contre les rochers. Des gerbes d’écumes montaient dans les airs pour ensuite blanchir la lande. Les paquets de mer enveloppaient le phare de Nividic, les déferlantes roulaient les une sur les autres dans le plus grand désordre.
Le bel océan bleu était devenu blanc, il ressemblait à un paquet de mousse, il n’était plus possible de délimiter le bord du rivage, la fureur du vent avait transporté sur la lande tout ce qu’il y avait sur la grève, algues pourries, divers objets, cordages etc….
Les flocons d’écume ocres, jaunâtres volaient à l’horizon, il fallait qu’il se penche pour les éviter, la belle herbe grasse des près salés se couchait, tout était noyé de sel par les embruns, son ciré brillait de cristaux de sel, ses lèvres en avaient le goût, si la pluie n’avait pas cessé, elle aurait été cinglante et blessante.
Dans le ciel les nuages allaient à des vitesses folles changeant sans cesse de forme, au loin le phare de La Jument apparaissait de temps à autre, cela devait être un enfer pour les gardiens, comment ne pas devenir fou dans ces tours lorsque les vagues font tout trembler !
Si à l’aller il avançait difficilement pour longer la côte, au retour, il eut le vent dans le dos, il alla jusqu’à jouer avec la force du vent, au dessus de la falaise, il se penchait en avant comme pour se laisser tomber dans le vide, il le maintenait dans un impossible équilibre ! plus le vide est grand, plus la sensation est intense, il avait su en mesurer le risque.
Sur une butte de terre il avait ouvert son ciré et s’était lancé face au vent comme un oiseau, il en avait été quitte pour un amortissement un peu délicat, comme un petit fou il jouait avec lui, se laisser pousser, avancer les pieds pour éviter de tomber la face contre terre, tous les jeux, toutes les impressions qu’il avait réalisé étaient faites pour aller jusqu’à l’ivresse de l’apesanteur, c’était sa tempête, il l’avait tant attendue.
Comment ne pas vouloir jouer avec elle tant qu’elle lui en laissait la possibilité, la lutte s’inverse souvent à son avantage dès qu’elle vous met en péril, cela Yann l’avait bien compris.
Arrivé chez Claire, il était heureux d’avoir eu cette joie intense et lui en fit part sans bien sûr lui avouer sa petite fantaisie au-dessus du vide. Elle lui précisa que le bateau partirait vers 14h car il était annoncé une aggravation pour le soir ! Il alla se préparer, tout avait été prévu pour qu’il soit à l’heure au port du Stiff.
Au cours du repas, Claire lui présenta un en-cas pour la soirée dans le train, elle lui fit ses adieux et lui dit qu’elle aurait encore plaisir à l’accueillir chez elle, il confirma qu’il reviendrait, que c’était son plus vif désir.
Quelques temps plus tard, Christiane arriva avec Muriel, le chargement fut rapide, les au-revoir chaleureux, ils étaient tous les deux à l’arrière, main dans la main, ils se parlaient doucement, il la rassurait le plus possible, il lui promit très vite une lettre.
Sur la quai, Muriel cachait se tristesse en regardant les rouies dans l’eau. Yann remercia encore une fois Christiane, Muriel l’embrassa très convenablement à son grand désespoir, mais la tristesse coula sur ses joues
Avant de prendre la passerelle il lui dit pense à ce titre « les sombres dimanches d’Ouessant » il rajouta courage je serais là.
Après les derniers ordres, L’Enez Eussa s’en alla affronter les montagnes de vagues du passage du Fromveur, du quai, l’on voyait déjà la poupe monter et descendre dans la houle.
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