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mardi 16 octobre 2012

28 La neige, l'approche de la tempête.

Déjà hier soir, le temps était à la neige avec de lourds nuages d’un gris intense, ce matin en me levant, l’île est blanche, tout est recouvert d’un léger tapis, quelques flocons volent encore de-ci, de-là. La neige sur Ouessant est un évènement assez rare, la douceur océanique nous en prive, il me semble que c’est la troisième fois que je vois son manteau.

Yann ne devrait plus tarder, nous nous étions donné rendez-vous afin de faire une balade, ce matin, elle aura quelque chose en plus. Assise sur le muret de Porz-Paol, je regarde l’écume des vagues lécher la neige, après son passage tout disparaît comme part magie.

Me retournant, je le vois sur son vélo, il arrive tranquillement avec le sourire. Il lance :

- C’est vraiment superbe

Nous nous faisons un discret baiser, puis je lui fais remarquer cette vision, nous nous décidons à aller voir la grande plage du Korz, pour cela nous longeons le bord de la côte par Ar Goubaz jusqu’à Beg Lann ar Goaz, là du haut de cette pointe, le spectacle et grandiose, tout se confond entre la plage et l’écume des vagues.

Je sens la main de Yann sur la mienne, je n’oppose aucune résistance, j’en suis même heureuse

- Quel spectacle, c’est majestueux, j’ai encore jamais vu cela ! dit-il.
- De toute l’île, c’est ici que la neige fait le plus d’effet lui dis-je
- Je veux bien le croire, c’est très joli et merveilleux !
- Nous repartons et lui propose d’aller voir les trois pointes : Porz Doun, Penn Arland, Kadoran.
- Nous devons faire vite car elle va fondre, elle ne dure jamais ici !

Avant midi, nous faisons le tour de l’île, nous ne sommes pas les seuls à profiter du spectacle et de faire des dérapages de tant à autres, nous trouvons quelques îliens avec des appareils photos.
Je sens bien que ce n’est pas le moment de lui dire ma maladie, j’ai peur de la réponse et je sais que je trouverais l’occasion. Alors que nous sommes assis face à la baie de Béninou, il trouve un phoque non loin du rivage, seule sa tête sort de l’eau.

- Comme j’aimerais vivre ici, c’est toujours un ravissement lorsque je viens !

Arrivés à la hauteur de la plage de Yusin, je lui fais voir l’emplacement où le pétrolier s’est échoué il y a deux ans, et lui explique que la petite plage dessous, aujourd’hui toute blanche, était devenue toute noire. Son visage marqua la stupéfaction. Par la même occasion, je lui montre que la partie noire qu’il voit aujourd’hui sur les rochers au-dessus de la ligne des plus hautes marées n’est pas des restes de pétroles comme il pourrait le croire, mais un lichen marin qui vit des embruns le : « Verrucaria maura ».

De retour chez Mamie, la neige sur Pern a déjà pratiquement fondu, demain il ne restera rien. Nous avons tellement fait de vélo que nous n’en pouvons plus… ! Et j’ai été incapable de lui dire. Parfois il a un regard plus doux, une attention plus tendre lorsqu’il arrête ses yeux sur moi en souriant.

Je me sens subjuguée par son charme, son côté presque oriental, par sa façon de me toucher quand il me parle. Il s’exprime avec ses mains, mais à aucun moment celles-ci n’ont une autre attention que la douceur qu’elles dégagent.
Je sens que ce ne sera pas demain que je pourrais lui parler, alors résignée, j’essaie de chasser ce désir afin qu’il ne dissimule rien d’autre que celui d’être avec lui. Après avoir posé les vélos, nous marchons sur un Ouessant feutré, ouaté, la mer est calme, nous ne l’entendons pas, l’ambiance est particulière.

Une fois chez Mamie, je pense à tout autre chose, la table est mise, la cheminée allumée, la grille installée. Après une courte inspection dans la cuisine, je découvre le menu que je connais : une salade à la laitue de mer et un petit bar pour chacun enveloppé dans des algues et cuit à la braise.
Yann est ravi, pendant tout le repas, il parle et apprécie, Mamie lui explique les algues et ses recettes.

Mamie nous annonce que nous sommes invité à une visite du phare de Créac’h, et qu’elle a obtenue le privilège d’assister demain à l’allumage des lentilles.
Cette vue de là haut est magique, surtout lorsque les autres phares de la côte s’allument à leur tour.

- Après je te ferais connaître un jeu d’enfance, une fois la nuit je m’allongeais au sol et je fixais les lentilles, au bout d’un moment, c’est nous qui avons l’impression de tourner.

J’ai à peine fini que j’entends maman qui entre, pour venir me chercher.

Le lendemain;

Alors que j’arrive à Pern pour notre rendez-vous, je trouve Mamie et Yann dehors, ils doivent parlez météo, vu leur attitude, je m’approche et j’écoute, le regard vers le ciel, elle lui fait voir les cirrus annonciateurs d’un changement de temps car accompagnés de leurs filaments comme des barbes de chat ou des queues de jument.

- Tu pourrais te reposer un peu, tu ne trouve pas !
- J’aurais tout le loisir de le faire dès le 2 janvier à l’hôpital Morvan tu ne trouve pas….au mois Yann le sera maintenant.
- A ta guise, Muriel, mais hier vous avez fait le tour de l’île en une journée…. !!

Après leur avoir dit bonjour

- Viens avec nous Muriel….puis elle reprend
- Ces nuages là apportent la tempête au-dessous de nous les virgules que vous voyez vont trop vite, le nuage est comme fouetté, plus loin il devient touffu, elle montre l’horizon….Lorsque je vois cela je relève mon baromètre et dès qu’autour du soleil se forme un halo ou une couronne, je le contrôle à nouveau pour connaître sa chute. Souvent le temps devient plus doux car les vents tournent à l’ouest, alors c’est très mauvais signe, à moins de 745 il n’y a plus qu’à attendre que cela passe, il reste encore du temps pour tout rentrer et se faire livrer ce qu’il faut. Ici, je l’ai souvent vu descendre à 730 et même moins !

- Et comment savez-vous que cela va s’arrêter ?
- Vous voyez ce rocher ? C’est le Noroit,
- Si le temps de ce côté s’éclaircit c’est terminé, Alors le thermomètre baisse à nouveau et le baromètre remonte
- Cela parait tout simple expliqué par vous !
- C’est une question d’expérience avec les anciens
- Vous aimez les vents d’Ouest.

Elle rit et dit :

- Oh non ! Jeune homme, à l’époque de ma jeunesse nous ne souhaitons que des vents du Nord

Elle fixe son doigt vers le phare et dit en Breton :

- Avel mat an avel nord, a zezaz pense d’ar bord « le bon vent est le vent du nord qui amène de bon naufrages »
- Mamie, tu ne vas pas recommencer avec ces histoires !
- Rassurez-vous, j’ai déjà entendu parler des naufrages d’antan…..et notre tempête, c’est pour quand et d’où ?
- Dans dix heures environ et dans le Suroît : dit-elle sans aucune hésitation.
- Et elle aura raison : ajouta Muriel.
- Elle sera forte ?
- Elle devrait si l’on regarde les nuages annonciateurs mais aussi le lever du soleil ce matin…Ne vous en faite pas, vous avez la journée…

Il fronça les sourcils d’un air interrogatif, elle rajouta :

- Le peu de soleil levant était rouge sanglant…
- Tu devrais lui lire le livre de Joe Klipffel.
- J’en avais l’intention.
- Qu’est-ce que c’est ?

Muriel donna le titre « Prévoir le temps par les dictons marins »

- Ah je veux bien, cela m’intéresse vraiment, Madame
- Bon les enfants, je vous laisse ensemble, vous avez du temps devant vous, mais faites attention aux nuages !
- Oui, oui Mamie
- Et toi, Muriel, que connais-tu de la météo ?
- Tout ce que tu m’as appris, Mamie chérie …dit-elle en partant avec Yann.

Puis elle lui explique à sa façon :
Il y a une chose certaine ici, le beau temps est avec nous quand les traînées des avions disparaissent aussitôt, c’est ce qu’a dû t’expliquer ma grand-mère. Lorsque les goélands sont posés en masse sur le stade de foot de Punel, ce n’est généralement pas bon signe. Mais la tempête est déjà là quand je les aperçois…… Je repris ma respiration……Il y a aussi sur l’horizon, les longs nuages étirés gris cuivré, les moutons très serrés et le phénomène de la tôle ondulée dans le ciel.
Ce que ma grand-mère a de plus, c’est qu’elle le voit avant tout le monde, même ceux du sémaphore….qui eux ne regardent que les instruments et le moment présent…..Elle nous prévient au bar et nous le faisons savoir aux clients.

- Et les histoires du soleil et le matin et le soir : me dit-il
- Tu te rappelle avec Jean-Yves, lorsque nous regardions un coucher de soleil à Porz-Doun, vous vous étiez émerveillés en voyant les rayons du soleil transpercer les gros nuages dans tous les angles et frappant la mer ? lorsqu’on avait vu un peu de soleil, il était pâle, fade et la lueur était rouge.
- Oui, je me souviens maintenant, mais c’était très joli.
- Certes, mais le lendemain ….au mieux il vente et il pleut, au pire c’est bon coup de tabac…Tiens regarde, la couronne se forme déjà et l’on ne voit plus le soleil….Arrête toi on va regarder le sémaphore. Tu vois, ils ont mis un triangle avec la pointe vers le bas, ce qui veut dire que le coup de vent commencera dans le Sud-ouest.
- Il faut absolument que je lise cela chez ta grand-mère : dit-il d’un ton décidé.
- Elle a tous les almanachs du marin breton, tu auras le temps demain : lui dis-je.

Puis nous continuons notre chemin vers Kadoran pour essayer de revoir le phoque.