Ce matin n’est pas comme les autres, beaucoup de gens vont arriver avec le bateau pour ce premier jour de vacances, tous les scolaires seront de retour sans exception, mais aussi un grand nombre de ouessantins vivant sur le continent. Pour ces fêtes il y a un retour sur l’île aussi important que pour les fêtes de Toussaint, car il s’agit bien d’un retour et non d’une visite comme en été, à cette époque rare sont les vacanciers !
Ces jours là, il y a toujours une ambiance particulière comme une atmosphère d’excitation, L’îlien vient plus tôt pour faire ses courses et perd moins de temps. Beaucoup s’interpellent pour demander aux uns et aux autres si un des membres de la famille vient. C’est aussi un peu ma façon de demander des nouvelles de ceux qui ont dû partir.
Les affaires d’hier ne comptent plus, toute l’île est concentrée sur l’arrivée de l’Enez. J’aime ces jours, même s’ils ne me concernent pas car l’île s’anime, elle vit, elle grouille, elle bouge enfin, tout le monde devient gai, nous sommes tout sourire, il y a même quelque chose de plus dans la façon de se vêtir comme si on recevait pour un jour de fête. Toutes ces matinées sont ainsi, nous sommes pris par la fièvre des retours.
Dans cette douce euphorie générale, j’ai quelque chose à voir, je suis concerné puisque Yann arrive aussi et je suis sur le quai avec les autres, avec la même pudeur afin de ne pas trop faire voir sa joie, mais avec la même émotion intérieure, forte et intense, car nous sommes ainsi, sans exubérance, et dans l’attente tout le monde parle avec tout le monde, d’autant plus que la mer est calme. C’est un grand soulagement de savoir que la traversée se fera dans de bonnes conditions.
Attendre dans cette ambiance passe malgré tout assez vite et la vue du bateau arrivant derrière la pointe d’Arland est une joie et non un soulagement. Encore quelques minutes et tout un chacun s’en retournera avec les siens, heureux de se retrouver en famille. Ainsi va Ouessant depuis bien longtemps, l’effervescence de ce matin dans le bourg s’est déplacée sur le port du Stiff et s’évaporera à nouveau. L’après-midi les arrivants iront à Lampaul pour quelques emplettes afin de reprendre contact avec l’île, c’est un rite immuable à la vie sur Ouessant.
Après quelques manœuvres habituelles que les marins exécutent avec une certaine routine, l’Enez est bien immobilisé à quai et juste devant l’échelle, car c’est marée basse et tout le monde devra y monter, encore un problème de plus pour les mamans avec les enfants. Comme tout le monde ici, je cherche le visage que j’attends, j’essaie de croiser son regard pour un premier signe de la main, un premier contact.
Au fur et à mesure du débarquement, chacun de nous va à la rencontre de l’arrivant, c’est mon tour, mais je me sens frustrée car il ne m’est pas possible de l’embrasser sinon toute l’île le saura et papa aussi, alors je lui tends la main, et c’est lui qui me tend la joue, l’honneur est sauf, tout le monde se doutera que Yann n’est rien de plus qu’un ornithologue.
Puis vient le tour de Corinne, alors là, nous nous prenons dans les bras, nous nous embrassons, nous nous donnons la main, nous rions et parlons sans fin, je lui présente Yann, je l’informe qu’il dormira chez Mamie et qu’elle ne dise rien à papa. Je l’accompagne au car en lui disant qu’elle prévienne Maman que j’arrive pour le repas, le temps de l’accompagner.
Sur le chemin qui nous mène à Pern en vélo, lui harnaché de son sac à dos, moi avec son sac sur mon porte-bagage, nous parlons du voyage, des quelques oiseaux présents sur l’île et de la durée de son séjour.
Nous avons de la chance, te temps est avec nous, pas de vent ou si peu, même si le soleil n’est pas là, le temps couvert reste calme. J’ai pris par Ker Héré pour lui éviter les côtes mais aussi le bourg, ainsi l’on retrouvera la route à Mez ar Reun, sans aucune côte. Sur la plateau de Parluc’hen Yann est subjugué par cette rare beauté du phare du Créac’h sur fond de mer et le passage des bateaux
- C’est magnifique, c’est la vue que je préfère d’Ouessant, c’est ici que j’aimerai avoir ma maison.
Comme je le comprends ! Tout en l’approuvant nous continuons, il a le regard partout sauf devant lui, heureusement que nous ne sommes pas en voiture sinon je crois que nous aurions mordu les fossés ! Bien qu’il ait les jumelles autour du cou, il ne regarde pas les oiseaux.
- Que dit le temps pour demain ?
- Pour cela, il va falloir que tu le demande à ta logeuse…
D’un ton curieux, il me demande
- Elle s’y connaît si bien
- Même plus que bien, si tu me permets de m’exprimer ainsi, tu t’en rendras compte toi-même.
Il sourit
- cela m’intéresse beaucoup,…. Je vais pouvoir apprendre à lire le ciel.
Yann est déjà manifestement heureux de découvrir un peu plus Mamie, Alors que nous sommes prêts à tourner vers chez elle, je la vois revenir du bord de mer, elle marche sur le chemin, je me demande ce qu’elle a bien pu faire sur la grève car elle ne peut qu’en revenir. Qu’aurait-elle été faire d’autre sinon ramasser je ne sais quoi ! Je fais signe à Yann de s’arrêter.
- Mamie revient de la grève, qu’est-ce qu’elle a encore eu besoin de cueillir ?
- Je te trouve bien dure avec elle
A la façon dont il me cela, je me sens obligé de lui donner des explications.
- Ce n’est pas que je sois dure, mais elle a encore de vieilles manies d’autrefois, elle va ramasser du bois d’épave ou des algues
- C’est interdit…, ?
- Absolument pas, mais j’ai toujours peur qu’il lui arrive quelque-chose.
- Et quoi ?
- Qu’une vague plus forte l’emmène.
- A l’âge qu’elle a, elle doit savoir ce qu’elle fait.
Je ne lui ai pas répondu, d’ailleurs quoi répondre, il avait peut-être raison. Elle arrivait avec le sourire et je ne me sentais pas le courage de lui en faire le reproche.
- Vous êtes déjà là ! C’est bien, vous avez eu une belle mer !....Vous avez fait bon voyage ?
- Oui, même un peu trop calme, mais enfin pourquoi s’en plaindre, comment allez vous madame,
- Bien comme vous voyez, mais pas aussi bien que vous….oh non…c’est beau d’être jeune…..je ne vous tends pas la main.
En même temps elle me tend les sacs…..
- Mais Mamie qu’as-tu trouvé comme trésor sur cette foutue grève ?
Tout en s’embrassant.
- Tu vas lui faire manger tes algues ?
- Oh pas de force, il aura le choix, il est assez grand.
- Mais pourquoi ce bois, tu n’en a pas assez ?
- Si mais je n’allais pas le laisser sur place, c’est très bien pour allumer le feu, ça sert toujours ! vous avez de la chance Yann, le temps semble tenir pour quelques jours.
Ensemble, ils parcourent les quelques dizaines mètres sur le chemin bordé des murettes, les champs sont envahis de fougères et de ronces. Les moutons entretiennent encore quelques îlots herbeux. Ce n’est que devant la porte de la cour que je les embrasse pour vite rejoindre la Penn ar Bed.
Certes essoufflée, enfin j’arrive juste à temps, Corinne est là qui m’attend d’un ton presque agressif elle me reproche d’avoir loupé ma dernière séance de chimio, je lui demande de ce taire, car maman arrive…..
- Pourquoi tu ne veux pas que j’en parle devant maman ?
- Je ne leur ai rien dit.
- Tu es complètement cinglée m’a pauvre sœur…et pourquoi
- J’ai envie de vivre
- Vivre….mais tu ne va pas faire long feu
- Et mamie ?
- Rien non plus
- Non mais tu es malade
- Bah oui, et qu’est-ce que cela va changer ?
- Te faire soigner
- Si à vingt ans j’ai déjà un cancer, de toute façon je vais ne pas faire long feu. Si tu veux bien on n’en reparlera plus tard.
Toute l’après midi je sans Corinne tendu et prête à lâcher le morceau à maman, heureusement nous avons des clients maman est très occupée, et Corinne part en balade….l’étreint se ressert je ne sais pas comment je vais pouvoir tenir, je me palpite, ma boule est toujours là, je l’avais oublié et je ne voulais plus les toucher, je l’avais presque oublié, même oublié.
Après le repas du soir nous sommes ensemble heureuse, puis tout d’un coup Corinne éclate en sanglot…..je ne comprends pas pourquoi….et elle lâche maman Muriel va mourir…. ! Maman me regarde complètement ébahi… la salope elle m’a piégée me dis-je de suite….sans comprendre son cri de détresse, son désespoir, ces sanglots sont des convulsions.
- Mais je peux vous comprendre toutes les deux.
- Maman j’ai un cancer du sein….
Corinne lui dit depuis le mois de Septembre.
- Et tu me m’a rien dit….
Sans que je les ai vu venir, je me suis ressues une paire de gifle, qui m’a cloué sur place, je ne me rappel même plus de la dernière. Je n’ai même pas eu envie de pleurer, et je lui ai tout expliqué, que j’ai découvert cela cet été, que j’en avait parlé à Josée qui aussitôt m’avait envoyé chez le père d’une de ses collègues de travail, et que quelques jours plus tard, je savais, et j’avais demandé à Josée de ne rien te dire, pour te l’annoncé moi-même, et puis je n’ai pas eu le courage, je n’ai même pas ouvert la lettre pour l’hôpital de Brest, que le médecin de Paris voulait que je commence du suite….etc….etc…que je ne voulais plus en entendre parlé.
- Mais je suis ta mère quand même, pourquoi ne rien me dire
- Je ne voulais pas partir d’ici
- Et Mamie….
- Elle ne sait rien non plus
- Elle va être heureuse de savoir ton mépris pour nous.
- Quel mépris…. ! je vous aime, et puis j’ai le droit de vivre normalement
- Heureusement que ton père est aux encornets….comment je vais rattraper le coup maintenant ? Non mais tu crois que je n’en ai pas assez comme cela….Ma fille qui refuse de voir la réalité…même devant sa maladie….Il va bien quand falloir te prendre un jour en charge tu ne crois pas….Je te demande une chose tu ne dis plus rien et tu me laisse faire, ou alors tu t’arrange avec ton père et Mamie.
Après encore quelques mots, je décide d’aller me coucher, nous embrassons toutes, il est tard, on verra demain me dis-je.