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mardi 16 octobre 2012

22 La réponse de Yann.

En ce matin un peu comme les autres, à l’approche de l’hiver, tout est morose, les nuages courent, poussés par les mêmes vents qu’hier et il en sera demain comme il en est depuis des lustres ainsi va le temps sur mon île. Les Rythmes ne changeront qu’avec les prochaines fêtes, car entre toussaint et noël personne ne vient plus nous voir.

Bien qu’heureuse de nous retrouver entre nous après quelques semaines, la monotonie s’installe à nouveau, alors c’est par le courrier que nous nous trouvons, que je trouve la mesure du temps. Les migrations terminées, les oiseaux sont comme les êtres humains, ils s’installent dans l’hiver, mais sur Ouessant les oiseaux n’hivernent pas, eux ont la possibilité de partir.

Marguerite la factrice avec ses bonnes nouvelles m’a apportée une lettre de Yann, c’est par un nouveau poème qu’il me répond. Comme je le remerciais de sa dernière livraison et lui demandais ses sources d’inspirations, il m’a répondu cela :

Qui m’inspire ?

Tard tu se venue dans mon esprit
Comment, je ne serais le dire ?
Pour qui, je ne saurais l’écrire ?
Alors qui m’inspire pour ces rimes ?

Lorsqu’en pleine nuit, je me réveille
Croyant une insomnie, ma tête est pleine
Alors je noircis des pages de poèmes
Puis la tête vide, revient le sommeil.

Ai-je deux vies ? Une inconnue en moi ?
Une qui vit dans mon sommeil
En offrant son fruit au réveil
S’agirait-il de l’âme, celle de la foi ?

Ou est-ce toi ma bonne étoile ?
Qui malgré ton absence ici bas
Continue à guider mes pas
Jamais, je n’espère te décevoir.

N’est-ce qu’un don ? C’est trop étrange
Ne sachant quoi t’offrir en échange
En récompense pour encore et encore
Alors de tes offrandes, je t’honore.

Je pense Muriel, que tu dois te poser la question, mais qui est sa bonne étoile ? Ma bonne étoile est ma mère, je suis persuadé lorsqu’il m’arrive un événement heureux, qu’elle y est pour quelque chose, à l’inverse je pense qu’elle a autre chose à faire quand il ne survient rien de bon, mais cette dernière éventualité m’arrive si peu.
Ne crois pas que je sois métaphysique, j’ai simplement besoin de croire que je peux encore vivre avec elle malgré son absence, c’est pour moi une façon réconfortante de refuser une vérité intrinsèque, un peu comme toi sur ton île avec les oiseaux.
Un jour je t’expliquerai mieux, plus en détail, comment elle nous a quittés pour un autre monde, mais comme toi je ne suis jamais seul.

Je souhaite te rejoindre bientôt sur ton caillou, mais pas avant les fêtes de fin d’année. J’ai encore envie avec toi, de dévaler les pentes, d’avaler les montées, de lutter contre le vent en vélo, tout en observant les girouettes au bleu d’Ouessant pour voir si les dieux nous serons favorables.

J’aime aussi me retrouver avec toi, nous avons tant de points communs. Je me sens comme envoûté par toute cette âme ouessantine. Toi, j’ai envie de te prendre dans mes bras. Ton île, j’ai envie qu’elle me serre dans ses pinces. Ta grand-mère, j’ai envie qu’elle soit la mienne. Depuis, j’ai le sentiment que mon monde est sans cachet, que ma ville est sans âme, que mon appartement est sans vie, pourtant dans la pièce où je vis principalement, j’ai accumulé livres, posters, cartes marines et postales.

Que m’arrive t-il ? Comment se peut-il que l’on puisse tomber amoureux de tout à la fois ? Peut-être parce-que tu es tellement imprégnée de ton île ? Ou est-ce la magie de cette terre, de ce caillou qui me rend si vulnérable. Voilà je me suis jeté à l’eau, à toi de m’en tirer, je te tends la main comme un naufragé qui happé par le courant, s’en remet corps et âme à son sauveteur. En écrivant cela je pense au bain à la plage d’Arland…quelle douche froide.

Je te conjugue, je nous conjugue, un mot qui m’est cher…Liberté.

J’attendrai le jour auprès de toi, je liberté
Avec mon amour et ma tendresse, tu liberté
De notre arbre de vie naîtra un fruit, il liberté
Nos forces mutuelles fendrons les vents, nous liberté
De vous voir heureux c’est mon bonheur, vous liberté
Ils nous envieront pour le meilleur, ils liberté.

Ma chère Muriel, je t’embrasse tendrement.

Yann.

Après l’avoir lu plusieurs fois, je me suis enfin décidée à aller chez Mamie pour avoir son impression, voire son jugement.
Une fois les brèves amabilités, chacune de nous prit sa place, installée dans son rocking-chair un plaid sur les genoux, elle se balance lentement, lisant en silence, de temps à autre, elle avale une gorgée de thé, replace ses lunettes, et recommence une seconde lecture.
Moi assise au sol, sur le tapis, je suis aussi fébrile et aussi impatiente que j’ai pu l’être à la remise des prix en attendant que l’on prononce mon nom.

Le silence est tel que le lointain bruit de la mer emplit la maison, les vagues une à une nous rabâchent leur même litanie, poussées obstinément par les vents d’Ouest dont la fureur et la violence ne trouvent pas toujours de mots, pourtant la maison de Mamie n’a rien de funèbre pour recevoir tant de coup de boutoir.

Quel message dois-je comprendre de la lettre de Yann, est-il amoureux de moi ou de l’île ? d’un geste tranquille Mamie ôte ses lunettes, je la sens prête à parler, même un peu gênée, son visage est grave, elle semble rassembler ses idées, elle cherche à ne pas me blesser, je crois que je connais déjà la suite. Me tendant la main, elle me demande de venir près d’elle, je me blottis contre ses jambes, la tête appuyée contre sa cuisse, sentant sa main se poser dans mes cheveux, elle commence à me parler, sa voix est rassurante et calme.

- Muriel, je suppose que tu n’en as pas parlé à ta mère ?

- Non, effectivement.

- Ce que tu me demandes n’est pas facile, mais cela me fait plaisir car j’ai tant de chose à te dire maintenant que tu es en âge de comprendre… .j’avais ton âge à quelques années près lorsque j’ai connu ton grand-père….lui ne m’a jamais écrit de poèmes, mais il s’asseyait près de moi et me parlait….On parlait des bateaux, de la nature, de l’île…A notre époque, nos parents nous parlaient uniquement pour le travail. Mon père ne nous disait jamais bonjour parce que cela n’existe pas en vrai breton…De plus il mélangeait son gallois et le breton….Chez nous on ne parlait pas pour ne rien dire, ni même lorsque tout allait bien…Combien de fois ai-je entendu dire « si je ne dis rien, c’est que tout va bien ». Alors j’ai été sous le charme, quelqu’un enfin s’intéressait à moi ! Il m’en avait plus dit en quelques rencontres que mon père depuis ma naissance….Et qu’il était beau dans son uniforme blanc de capitaine ! Ses yeux avait la couleur du bleu le plus profond, il aimé notre île et nous avions fait le projet d’y revenir à sa retraite. Je lui avais plu, alors j’étais la plus heureuse et la plus fière sur l’île !...Me marier avec un capitaine, moi fille de paysans pauvres ! Toutes les filles de l’époque m’ont enviée. Secrètement, nous avions toutes envie de partir avec un prince charmant. « J’avais trouvé le mien » !.
Elle marque une pose un peu plus longue que les autres, puis après un long silence, elle reprend. Nos regards sont dans des directions différentes, il en est mieux ainsi pensais-je.

- J’avais trouvé le mien, mais le mien était beau aussi aux yeux des autres femmes. Il suffisait qu’une catin lui pérore des jérémiades avec des plaintes larmoyantes pour qu’il se comporte comme un malotru. Je ne supportais plus qu’il soit l’opprobre de sa famille, de nos connaissances et de nos relations militaires. Je te dis cela pour que tu réfléchisses. Je connais peu Yann, mais il ne faudrait pas que ton envie de vivre une autre chose t’aveugle. Je crois que Yann est surtout amoureux de l’île et que tu représentes l’élément fédérateur…..avez-vous eu une discussion ?

- Non, jamais à ce propos.
- Quels sont tes sentiments envers lui ?
- Je me sens bien avec lui, il me plait.
- Que penses-tu de sa lettre ?
- Je pense un peu comme toi, mais le crois sincère aussi, je te réponds franchement, je ne veux pas tricher avec toi.
- Tu le crois sincère ?
- N’aie pas peur, Mamie, je ne suis pas encore prête à faire mes bagages !
- Il faudra bien que je finisse mes études
- Que fait-il ?
- Je n’en sais trop rien, je l’avoue…
A son rictus, je m’empresse de rajouter :
- Je voulais simplement avoir ton avis sur sa lettre, n’aie aucune crainte, je ne vais pas faire de bêtise et puis je vais t’avouer franchement, je me rends bien compte que ma place n’est pas derrière un bar à servir des verres d’alcool pour chasser les idées noires des clients et attendre leurs propos de fachos de zinc, refaisant le monde entre deux tournées ! Tu parlais de jérémiades, je dirais que leurs propos n’est qu’un catalogue de gémissements, de rodomontades suborneuses. Combien d’entre eux ne sont que des birbes n’ayant que des façons de soudards ! J’ai rarement entendu de paroles sensées dans ce salmigondis et lorsqu’ils me donnent un pourboire, je leur réponds « merci pour le pour lire » …cela ne plait pas à papa mais peu m’importe. C’est vrai que j’ai envie de vivre autre chose, Mamie, mais je sais aussi que je ne vivrai pas n’importe quoi.
- Comme je te comprends ma petite fille.
Pendant qu’elle me dit cela, je sens ses tendres caresses dans mes cheveux.
- Sais-tu quand il viendra sur l’île ?
- Non pourquoi ?
- Je te propose qu’il loge chez moi, de cette façon nous le connaîtrons mieux
- Je te remercie Mamie
- Ne me remercie pas, je fais aussi cela pour moi. Je serais triste de te voir ou de te savoir plus tard comme trop d’entre nous….Nous sommes devenues des terriennes sans terre, sans ferme. Nos hommes des marins sans bateau, sans destination et nous tous, nous regardons la terre et le mer parce qu’elles sont là, nous avons connu la vie sur Ouessant…. Et ce ne sera pas par le tourisme que l’on retrouvera notre dignité, nous n’y trouverons que servitude.

Ce soir la lumière est restée allumée fort tard sur Pern, je suis restée pour dormir, la lueur des éclats du phare m’a bercée avant mon sommeil.