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mardi 16 octobre 2012

18 Le Rêve.

De la fenêtre de ma chambre, assise sur la balustrade, je me décidais enfin à me lancer.
Les bras le long du corps, je filais dans l’air, je pénétrais l’espace dans une douce descente, j’avais assez pris de vitesse pour amorcer une remontée.
Je venais de découvrir le vol ondulatoire, dans la rue qui même au mène au bas du bourg vers le port, j’ondoyais librement, sans effort particulier, je zigzaguais au grès de mon plaisir.

Tournant autour des maisons, pénétrant dans les jardins, passant les fenêtres ouvertes, ressortant par d’autres, montant et descendant dans l’espace à ma guise. Sans être un oiseau, je dominais l’apesanteur. Dès que j’étais près du sol, j’avais toujours assez de vitesse pour reprendre un peu de hauteur et replonger et ainsi de suite.

Ma liberté de mouvement dans les airs me rendait ivre de joie, j’étais euphorique, j’avais l’aisance l’agilité de certains oiseaux. En arrivant au port, je me jouais du petit muret de pierre que je ne pouvais franchir à l’ordinaire, j’ondulais dessus, je le passais, le repassais, j’entrais et ressortais de Porz-Paol, je sortais sur le talus, puis sur celui d’en face, en passant autour des bateaux, en le traversant d’un coup d’élan, à la façon d’un merle.

J’évoluais dans un monde sans obstacle où les bateaux sur leurs béquilles me semblaient penauds, les autres plus loin, se dandinaient dans le clapot, mais sans grâce, j’allais vers eux, tournant, ondoyant, virant, ils étaient prisonniers dans leurs chaines…..puis je quittais le port pour aller évoluer sur la mer…à la façon de la houle, des vagues, de ses creux et sommets, j’ondule, je les domine comme peut le faire une mouette.

Elles ne me surprennent plus, je m’en joue, je m’en amuse, je les frôle de toute de toute leur hauteur, de leur colère, elles ne peuvent plus m’atteindre. De leurs petits doigts transparents qu’elles lancent vers moi, aucun me peut m’attraper, elles retombent, s’écrasant toutes lamentablement alors que moi je ris. Je vais vers l’une, vers l’autre, toutes essaient mais aucune ne réussit. Je longe les vagues en maître, pour une fois.

Je me pose le long de la plage, la mer est devant, j’entre dans son être, je la pénètre, je suis dans l’eau comme dans l’air, le plaisir m’enivre autant. Je frôle le fond, les rides du sable sont comme de petites dunes, je les survole, les surnage. Entre la surface et le fond, je virevolte dans l’espace marin, j’aperçois la lune à travers la transparence de l’eau. Elle danse en ce contorsionnant, prenant des formes irréelles et changeantes instantanément avec des géométries sans nom.

Les étoiles ne sont plus ces points lumineux qui ont tant guidé de marins, mais des lignes frisantes dans des mouvements ondulatoires constants. Parcourant plus loin j’entre dans une forêt, à Ouessant la forêt est sous la mer pour que le vent ne commette pas son œuvre destructrice d’obstacle à la croissance, comme il a fait sur l’île. Mais dans celle-ci, les arbres sont bizarre, ils ondulent avec le courant, les feuilles ne sont que de longues et de larges tiges étroites, ils n’ont ni tronc, ni écorce, leur couleurs sont un mélange de tons de printemps et d’automne.

Dans cette jungle je me fraye un passage en écartant ses arbres souples, l’avance avec légèreté, devant moi, je fais fuir de drôles d’oiseaux, ils en on l’allure. Ils montent, descendent et virent soudainement, mais ici ces drôles d’oiseaux ont des formes particulières, les ailes sont des nageoires, ils ne se posent pas sur les branches, ils semblent qu’ils se dirigent avec la queue, je suis dans un monde de silence. Je n’ondule plus je marche sur le fond, ces choses bizarres me tournent autour, des gros des petits, des bandes. Leurs plumages étincellent de milles reflets comme des diamants.

Dans cette forêt, je reconnais le pioca de mamie, je veux le prendre, il se pousse avec grâce. Tout m’enivre dans ce monde de douceur au rythme lent. Après en être sortie, se dresse devant moi une montagne de roche, lugubre et sans vie, puis contre celle-ci, une masse sombre, inerte, rouillée, un enchevêtrement de tôles, doucement j’arrive vers elle, elle est couverte d’algues, à mon approche une multitude de poissons s’enfuient nerveusement.

Je reconnais là un bateau, je tourne autour, grattant sur la coque, je découvre un reste de peinture. Au fur et à mesure, je lis son nom : UXISAMA. C’est le nom que donna de navigateur grec Pythéas à Ouessant lorsqu’il a découvert l’île quatre siècles avant J.C.

Cherchant autour du bateau, je découvre des hublots, ils sont opaques et je ne puis rien voir à travers. Je décide de les gratter, j’insiste et insiste encore, il me semble découvrir derrière une forme je m’approche, mon père ! Je pousse un grand cri, j’hurle littéralement.

- Muriel, Muriel, qu’as-tu ?
Je sens une violente secousse, j’ouvre les yeux, je vois ma mère, elle me parle, elle me secoue.

- Mais Muriel, qu’as-tu ? Qu’est-ce qui t’arrive !
- Oh maman ! maman !
Sanglotant, je me jette dans ses bras.
- Maman, j’ai vu papa là au fond !
- Réveille-toi Muriel, ma chérie tu as rêvé.
- Oh maman ! maman ! j’ai fait un drôle de rêve. Reste avec moi ne part pas.
- Ma petite fille chérie, mon petit oiseau des îles à quoi tu as rêvé ?
- Je sais plus, je sais plus mais la fin était affreuse….Ma petite maman chérie reste dormir avec moi, un peu, je ne veux en rêver à nouveau, oh non ! oh non.
- Mais non, rassure-toi, on ne fait pas deux fois le même rêve, aller viens dans mes bras, viens…
Je reste un moment éveillé, elle est toute chaude, je suis bien, blottie contre elle…..je ne sais qu’elle heure il est, mais dehors j’entends un rouge-gorge chanter, cela me rassure, je suis à nouveau dans un monde de vivants….j’attends un nouveau sommeil, qu’il arrive vite.