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mardi 16 octobre 2012

16 Rester ou partir.

Depuis mon retour de Paris, à la mi-septembre, tout est allé très vite, les évènements se sont succédés les uns après les autres, ils m’ont fait perdre la notion du temps.

Je vais devoir vite prendre ma décision, soit partir en fac ou rester travailler à la maison.

Personnellement, j’ai envie d’essayer de rester même si travailler à la maison risque de ne pas être facile, et puis si ça ne va pas, cela me fera une année sur l’île.

Papa est absent, aujourd’hui il est à Brest. Maman sera plus disponible, j’ai envie de parler de cela avec elle avant que les clients n’arrivent.

Je l’ai entendu se lever, je vais attendre qu’elle ait fini sa toilette pour en faire autant. Je me pose mille questions et me fait mille réponses. S’il n’y avait qu’elle, ce serait si facile !
Mais il va falloir négocier avec Papa, me laissera t’-il une certaine forme de liberté d’horaire ?

C’est mon tour, j’y vais, maman en sort tout juste, elle se coiffe en marchant la tête penchée, elle se passe la brosse à l’intérieur des cheveux, je la trouve très belle et encore plus dynamique de la sorte.

Elle pourrait jouer dans une pub à la télé. Je m’avance vers elle, je l’embrasse pendant qu’elle continue à se coiffer. Elle me tape sur les fesses en me disant :

- Tu ne pourrais pas t’habiller un peu plus
- On n’est toutes seules !
- Ce n’est pas une raison… tu fais vite aujourd’hui, je compte sur toi… ! Du pain grillé comme d’habitude…
- Oui, oui, maman.

Je suis déjà sous la douche, je l’entends descendre, je vais vite me préparer, j’ai envie de lui faire plaisir, tant pis pour ma douche câline.

Pendant que je me maquille un minimum, je l’entends en bas, l’odeur de pain grillé se fait sentir.

- C’est bientôt près Muriel

Oh là, là, vite je suis encore nue, que vais-je mettre ?

- J’arrive dans deux minutes… ! en pensant qu’au moins je vais la rassurer, je fonce dans ma chambre.

Je sors un jean, place mon pull angora rose au dessus, l’ensemble rend bien sur le lit, cela devrait aller, la première culotte fait l’affaire, je remets le même soutien-gorge, m’habille, un coup d’œil dans la glace, c’est parfait, je fille.

Maman déjeune déjà, mes tartines sont prêtes, pain grillé, beurre, miel, je passe derrière elle, je lui fais un gros bisou, elle s’est parfumé, c’est ce que j’ai oublié de faire.
Pendant que nous déjeunons, je me décide à lui parler.

- Maman, j’ai envie de rester au moins cette année, pour travailler avec vous.
- Tu ne préfères pas aller à la fac avant ?
- Cela me parait moins grave de perdre une année avant, que de devoir le faire après.
- Et ton Père
- Je voulais d’abord en parler avec toi, pour avoir ton avis
- Cela m’arrange c’est certain, maintenant que Corinne est au lycée à Brest….mais aller à la fac c’est ton avenir, ne oublie pas !
- Mon avenir peut-être aussi sur l’île, après vous, il faudra bien que quelqu’un reprenne le commerce.
- On n’y est pas encore, ma pauvre Muriel…et comment vas-tu faire pour supporter ton père ?
- Je ferais de mon mieux.
- Eh oui, tu feras pour le mieux ! me dit-elle d’un ton complètement désabusé, ce n’est pas si simple, il faut que je t’explique quelque-chose. A une certaine époque, j’ai failli divorcer et partir ailleurs. (je pense que c’était donc ça les lettres, elle avait eu un amant. Je reste de marbre pour ne pas qu’elle devine mes pensées.)
- Lorsque je suis allée voir à la caisse des commerçants pour me renseigner sur mes droits, j’ai eu la stupéfaction d’apprendre que je n’existais pas. Ton père ne m’a jamais déclarée, je n’avais ni retraite, ni sécurité sociale, rien, A tel point que s’il lui arrive quelque-chose, je ne sais même pas si je pourrais garder le fond. (et dire que je voulais le faire disparaître ! J’aurais aussi en quelque sorte, tué ma mère ! c’est affreux, je suis un monstre !)
- Qu’est-ce qu’il t’arrive Muriel, ça ne vas pas ?
- Non, non rien je pense à toi, ça me bouleverse. Je ne pouvais quand même pas lui avouer mes intentions ! Et aurais-je été jusqu’au bout de mes pensées ?
- Est-ce que tu comprends mieux la situation ? J’ai déjà eu un mal fou pour qu’enfin je puisse cotiser, alors avec toi, comment vais-je pouvoir faire pour le convaincre ?
- C’est pour cela que tu n’es pas partie ?
- Ce n’est pas aussi simple, mais il y a du vrai. Il y avait vous trois, Josée était encore ici, Corinne était petite et partir à l’aventure avec vous trois vous aurait fait souffrir, et aurais-je été plus heureuse en vous sachant malheureuses ?

Elle marque un temps d’arrêt
- Alors je suis restée plus pour vous que pour moi, seule, je n’aurais pas hésité un instant
- Tu t’es sacrifiée pour nous ?
- Il y a un peu de cela…mais jamais je ne vous en ferai la reproche… si j’en avais un à faire, c’est à lui…et sa façon de m’avoir considéré…et puis il est vrai que je ne me suis jamais souciée de mon avenir, j'en lui faisais absolument confiance en tout, quelque part, je suis un peu responsable.
- Et tu savais où partir à l’époque ?

Ma question n’était pas insidieuse, je voulais savoir si c’était lui.

- Oui, je savais, mais j’ai eu peur de franchir le pas. Je ne pouvais pas risquer de vous mette en péril.
Après un silence.
- Si un jour tu as des enfants, tu comprendras.
Et elle rajoute :
- Tu comprendras

J’ai l’impression que c’est lui, mais je ne veux pas me permettre de lui demander, sinon elle saura que j’ai trouvé les lettres.
Cette discission continua bien après que nous ayons fini le petit déjeuner. J’ai compris le retour de ses lettres. Sachant qu’elle ne ferait pas le pas, ils avaient rompu et il les lui avait retournées.
C’est à mon avis l’explication la plus plausible. Elle aurait donc fait un double sacrifice pour nous, rester avec notre père et refuser l’amour de cet homme.

Il y avait une autre hypothèse. Si la sachant sans ressource et avec nous, c’est lui qui avait rompu ?
Mais non, ce n’est pas possible puisqu’elle vient de me dire « J’ai eu peur de franchir le pas ».
Si mon idée est juste, cet homme est des plus généreux, il nous aurait prises toutes les quatre sans rien. Alors que mon père n’a même pas pensé à l’avenir de maman, il faut être abject et vil. Si maman pouvait avoir confiance en moi et m’en parler !

Je réalise aussi que je ne peux être sa fille puisque que ma jeune sœur Corinne était là.
Bien que nubile, tout ceci ne m’encourage guère à avoir une vie de couple, pourtant parfois, j’aimerai me laisser bercer dans une tendre histoire d’amour.

Ma mère se lève pour se préparer à ouvrir aux clients. Je me charge de tout ranger à la cuisine. Il ne fait aucun doute que nous allons passer une bonne journée ensemble, sans cris et sans heurts. Certains clients ne sont pas mécontents de l’absence de papa, d’ailleurs maman est unanimement et infiniment appréciée par tout le monde.

Parfois je trouve qu’elle a des dons pour dispenser le bonheur autour d’elle. Que moi, sa fille en soit, irradiée, rien de plus normal, mais son aura est telle qu’elle la communique aux clients grâce à sa bonne humeur, sa gentillesse et son sourire.

J’en éprouve une grande fierté, c’est pour moi un enseignement de vie…

Quelques heures plus tard.

….Nous arrivons déjà en fin d’après-midi. Dehors c’est un temps d’automne, la brume tombe avec la nuit, une froide humidité enveloppe l’île. Rien qu’à regarder les clients, lorsqu’ils rentrent, je n’ai pas besoin de sortit pour me faire une idée du temps. Il me suffit de les voir se frotter les mains, les bras, se secouer les épaules et respirer bruyamment pour comprendre.

C’est aussi le deuxième qui me dit :

- Cette nuit va être un temps pour aller aux grives !
C’est aussi ce que je pense, mais pas pour les mêmes raisons.

La journée a été assez calme dans l’ensemble et maman a envie de fermer assez tôt, de plus, les clients ne trainent pas. Aussitôt les courses faites à l’épicerie, au tabac, ils repartent tous très vite, peu restent assis en salle.
- Muriel, ta grand-mère au téléphone !
- Qu’est-ce qu’elle veut ?
- Tu verras, viens

Je suis surprise, quoique je me doute un peu.
- J’arrive maman, tu finiras de nettoyer la machine à jambon ? je la prends à la cuisine.
- Allo mamie, que veux-tu….Pourquoi ?...Avec ce temps !...Ce n’est vraiment pas raisonnable….J’en parle à maman….D’accord.
- Maman, je crois que Mamie ne va pas bien…., elle veut aller aux grives sous le phare cette nuit, elle me demande de venir l’accompagner !
- J’avais compris et je savais que c’était pour cela, elle m’en a déjà parlé lorsque je suis allé la voir.
- Qu’est-ce que je fais maman.
- On ne sait jamais ce qui peut lui arrivé ! je te laisse la mobylette, tu y feras attention sinon père en fera un drame…. Je n’ai pas envie qu’elle fasse comme en septembre.

A ces paroles, je me sentis responsable. Si j’avais respecté mon engagement, mamie ne serait pas allée seule cueillir son Pioca alors que la mer était mauvaise, une marée de 103, Elle veut toujours faire ses flancs elle-même. Elle n’est pas Bretonne pour rien.