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mardi 16 octobre 2012

14 Yann.

Yann ne me semble pas comme ces touristes que l’on nomme les chinchards qui d’emblé ne remarquent que nos contrastes à l’image de nos phares modernes et vieux, blancs et noirs comme nos moutons, de la bruyère et des ajoncs, des arbres plus petits que nos maisons, des belles maisons entourées de friches et de ruines.
Puis, lorsqu’ils parlent des îliens, c’est pour dire ou penser si fort que l’on n’a pas besoin de les entendre pour comprendre : Mais comment peut-on vivre ici ?

Yann, lui n’a pas vu cela. Il a tout de suite eu envie de partager notre qualité de vie. La première chose qu’il a vue chez nous, c’est l’absence de toute pollution. Pour lui, nos ruines et nos friches ne sont pas synonymes de misère et d’abandon. Il a aussi très bien compris la modernisation de notre ancienne maison, mon père avait fait agrandir les fenêtres pour y faire entrer la lumière. L’habitude des petites fenêtres qui avait encore cours il y a à peine cinquante ans, a évolué, tout simplement parce que nos maisons peuvent être chauffées grâce à la centrale électrique.

Il a très bien compris aussi que si nos anciens ont pu vivre sur l’île, c’est bien grâce à eux-mêmes et sans vraiment le concours de l’état qui n’a fait que prendre nos hommes pour sa marine.
Ce n’est qu’aujourd’hui et depuis assez peu de temps, que le gouvernement nous modernise en nous insufflant de l’argent pour la réalisation d’équipements collectifs. Pour ceux qui n’y voient de l’assistanat, c’est un juste retour des choses.

Yann me comprend, nous nous comprenons bien, lorsqu’il dit lui-même :

- Les îles ne pourront jamais vivre au même rythme que le continent et le dégagement des richesses produites ne peut avoir cours que pour les îles très proches de celui-ci à l’exemple de Batz ou alors être un petit continent à l’image de Belle-Île. Mais pour des petites îles éloignées et d’un accès difficile comme vous, il est impératif qu’il vous aide plus que d’autre.
La solution idéale serait qu’il vous fournisse un outil de production en prenant à sa charge l’apport des matières premières et le dégagement des richesses produites. Car aucune entreprise n’acceptera et ne pourra prendre à sa charge un tel surcoût pour la vente de son produit face à la concurrence.

J’explique à Béatrice que nous avons eu cette discussion en rentrant de chez ma grand-mère et j’ai été surprise de sa part, de voir un tel décalage entre ses idées et les nôtres. Je savais aussi que ma grand-mère n’avait pas envie du progrès, mais là elle m’a soufflée, elle n’a en fait, envie de rien, sinon de vivre un peu comme avant.

- Tu sais Muriel, pour nos grands-parents si gentils soient-ils avec nous, ils ne conçoivent pas que nous puissions faire notre avenir ici, pour eux, réussir sa vie, c’est partir sur le continent.
- Parle-moi plus de Yann, comment le trouves-tu ?
- Si pendant le trajet, il m’avait pris la main, je ne lui aurais pas refusé.
- Tu l’aimes ?
- Je ne sais pas, mais je me sens bien en accord avec lui, je le trouve sympathique et je crois que je pourrais l’aimer…il me plait bien …j’aime ce qu’il dit, ce qu’il pense.
- Ah, ah, Muriel tu es séduite !
- Oui peut-être bien
- Je le connais ?
- Non je ne crois pas
- Il est beau ?
- Pas vraiment, disons qu’il a du charme.
- Tu me le feras connaître ?
- Je sais qu’en principe il bague les oiseaux demain avec Yvon dans Arland.
- Je n’ai jamais vu comment cela se pratique, tu y vas Muriel ?
- Si tu viens avec moi, je veux bien

La soirée est très avancée, d’autant plus que nous avons lu et parlé de nos livres. Étant imprégnée des oiseaux de Saint John Perse, j’en lis quelques passages à Béatrice. Il est tard, nous fermons la lumière.