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mardi 16 octobre 2012

13 - Le sauvetage.

Je ressens une tension particulière dans cette maison, l’explication de Jean est pesante.
Sa femme, Marie, est pourtant habituée, mais peut-on rester calme et stoïque lorsque son mari raconte son sauvetage. Elle sait qu’il a encore risqué sa vie pour en sauver une autre, c’est ainsi depuis longtemps comme celle d’un funambule sur son fil.

Marie-Thérèse sa fille, qui est la maman de Béatrice, est encore plus captivée. Peut-être parce que son père est pour elle un héros : L’image qu’elle s’est forgée de lui est celle d’un être hors du commun.

Tous ces pilotes sur les côtes de France sont de la même trempe, leur métier en mer est si périlleux qu’il forge un type d’homme capable d’affronter les pires conditions de navigation.
Ce sont des marins de l’extrême. Béatrice est complètement admirative et radieuse, pour elle, c’est presque de la routine.

Depuis sa tendre enfance elle a été bercée de tous ces récits, de toutes ces aventures. Chez elle, il n’y a eu des marins comme son grand-père, Jean Cuillandre, son mécano, ses matelots, ses amis les gardiens de phare, que des hommes de l’extrême. Je l’envie car l’univers du café de mon père n’est pas le même, ils ne sont pas de la même trempe ! bien au contraire !

Nous étions arrivés chez la mère de Béatrice sans savoir ce qui s’était passé, nous revenions avec la chatte.
A l’explication du sauvetage, Béatrice dit :
- Tu es formidable pépé.
Elle était heureuse, elle souriait de savoir que son grand-père avait encore réalisé un acte héroïque.

Michel, un gardien de La Jument, avait une crise d’appendicite aigüe. L’hélicoptère, une alouette avait bien tenté l’hélitreuillage sur le phare, mais les conditions de vent étaient telles que le pilote ne put rien faire.
Et ce n’était pas faute d’avoir essayé plusieurs approches, mais il faut dire que le gardien était dans un sale état et cela rendait encore plus impossible son évacuation.

Il ne restait donc qu’une solution, faire l’évacuation avec la vedette. La Ouessantine était au mouillage à Argenton, il fallait donc transporter Jean et son mécano à pied d’œuvre.
C’est ce qui fut fait, l’hélicoptère a pris les deux marins à Lampaul, de là, cap fut mis sur Bannec, Molène et ensuite vent arrière jusqu’à la côte.

Le pilote ne pouvant pas consulter ses cartes, c’est Jean qui le guidait pour rejoindre le port d’Argenton.
Bien que l’atterrissage eut lieu dans la plus extrême des solitudes, peu de temps après, il y avait des dizaines de personnes sur le quai, avec leurs transistors branchés sur Radio-Conquet les gens de mer suivaient l’événement.
Ici les gens savent que si l’hélicoptère arrive dans un tel déluge, il se passe quelque-chose de grave.

Alors que Jean, et Jeannot son mécanicien, s’apprêtaient à prendre le canot pour rejoindre leur vedette au corps-mort, un de ses amis pêcheur du continent, viens le voir et lui dit :
- Jean, c’est de la folie, cela brise du Four à la côte, tu ne pourras jamais sortir.
Et Jean lui dit :
- Il y a un homme à sauver
- Où ça ?
- Un gardien de La Jument risque de mourir d’une crise d’appendicite, il faut l’évacuer absolument.

Les deux hommes avaient été obligés de crier pour s’entendre.
- Bonne chance, je sais que tu feras pour le mieux, et tout bas il dit : « Au cas où que Dieu lui fasse paix ».

De là, Jean et Jeannot partirent avec la vedette pour rejoindre le Stiff.
Il fallait prendre Jean-Jacques le médecin, un matelot, un nouveau gardien et filer vers la Jument.

Jean avait perçu une certaine inquiétude chez Jeannot son mécano, bien que ce dernier eut une extrême confiance dans son patron, il ne pouvait s’empêcher d’éprouver une certaine crainte.
Pour rejoindre le Stiff, Jean n’a qu’un unique instrument, le compas, cap au 250°, vitesse 9,5 nœuds, soit environ quatre vingt dix minutes de traversée dans le déferlement des vagues.

C’est alors qu’ils croisèrent une masse sombre et que Jean cru bon de dire à son mécano :
- N’ai pas peur, il n’y a pas de danger, j’ai l’habitude de voir ce bateau, nous sommes sur le bon chemin.
Jeannot avait dû se sentir rassuré puisqu’il dit :
- Quel temps de boucaille ! ce ne sont que des paquets de mer !

Une fois au Stiff, Jean en profita pour aller se changer, il était comme une soupe, plus rien n’était sec sur lui, Jeannot fit de même.
Ils avaient un peu de temps devant eux, la marée descendait, mais il fallait quand même faire vite.
De retour au Stiff, le nouveau gardien avait été choisi, c’est le plus léger qui fut embarqué afin que la manœuvre pour le treuiller au phare soit le moins pénible.

Cinq hommes étaient maintenant dans la vedette pour rejoindre La Jument, Jean était le plus confiant car il avait plus de repères pour se guider. Son cap au 240°, la visualisation des côtes du sud de l’île et les précieux brisants.

Il leur a fallu quarante minutes pour descendre le Fromveur, le courant était avec eux, au phare, le gardien valide jette sa bouée dans le courant afin qu’elle arrive sur la vedette, le matelot a réussi sans trop de peine à récupérer la ligne, la marée remontait déjà.

Tenant la barre avec don dos, le levier de l’embrayage dans sa main droite, la manette des gaz dans la main gauche, surveillant ses hommes, les vagues, la manœuvre, à partir du pont arrière.

Jean doit présenter sa vedette par l’arrière et toujours parallèle au treuil, quelle que soit la force du courant, la hauteur de la houle, il ne doit être ni trop près, ni trop loin, par ce temps, à environ 150m de La Jument, les vagues ont 5 à 6m de hauteur.
Le gardien valide a réussi seul à treuiller le remplaçant, il a dû se surpasser dans l’effort. Pour descendre le malade, il a fallut placer celui-ci dans un sac de ravitaillement tellement il était mal.
Il ne tenait plus debout et jamais il n’aurait réussi à se maintenir assis sur le ballon. Il n’y avait donc que cette solution, les gardiens l’avaient placé dans un sac neuf.
Le descendre a été ensuite une manœuvre faite avec mille précautions, il est arrivé à bord comme dans un fauteuil, enfin presque !...

Il restait une dernière manœuvre à effectuer, restituer le filin (hale-a-bord) au gardien. Pour le lester, le matelot y a attaché un bidon de butane, le tout a été lancé au plus près du phare.
Pendant que les gardiens se chargeaient de cette récupération, la Ouessantine filait vers le Stiff.
A bord Jean-Jacques Gonin avait fait un diagnostic du malade, puis avait demandé par radio son évacuation sur Brest, il repartira donc avec l’alouette.
Cela aurait été plus rapide par Lampaul, mais l’entrée de la baie était absolument impossible, les vagues passaient par-dessus le Youc’h-Korz.

Le retour ne fut que formalité, ils avaient à nouveau la marée avec eux. Jean rajouta avant de finir :
- Heureusement que la marée était avec nous, sinon aurions-nous réussi ?

Sa femme lui demande :
- Et Mic ?
- Il s’en sortira, c’est un gaillard.
- Sais-tu papa que nous avons essayé de te voir, nous étions au Runiou et nous n’avons absolument rein pu distinguer !
- Cela ne m’étonne pas car parfois, les grains étaient d’une telle intensité que je voyais tout juste la jument. Jean se pris la tête dans ses mains et rajouta :
- Quelle tempête ! Quelle tempête ! il secoue la tête et Marie dit :
- Enfin tu es avec nous, c’est le principal. Jean ne répond pas.
- Et que serait-il arrivé si vous n’aviez pas pu effectuer l’évacuation ?
- Ce qui est prévu dans le règlement des gardiens de phare me répond t-il.

Marithé répondit avec l’angoisse sur son visage
- Il vaut mieux ne pas y penser, ma pauvre Muriel ! Oh non.
- Dans tous les phares en mer, il y a de quoi effectuer une chirurgie d’urgence, c’est son compagnon qui aurait pratiqué l’opération de la dernière chance.
- Mais comment ? demandais-je à nouveau.
- Par téléphone avec un médecin du continent.

A l’idée de l’acte, je n’ai demandé aucune autre explication.
Au cours du récit, Jean avait pris deux grandes assiettes de potage aux légumes…
C’est bien après que l’on a pu parler des retrouvailles de la chatte Nouche. En fait, elle s’était trouvée malencontreusement enfermée dans la crèche d’Hélène et si elle ne l’avait pas entendu miauler, elle y serait peut-être encore.

J’expliquais qu’Hélène en a parlé à ma mère pour savoir à qui était cette chatte.
Pendant que Béatrice ressemble quelques effets, j’embrassais tout le monde et quittant Kervasdoué nous partons vers le bourg, elle dormira à la maison, j’ai tant de choses à lui dire !
Sur le chemin je dis à Béatrice que le vie de son grand-père me fait penser à ces gens de rien, mais qui pas leur courage, leur bravoure, leurs sens du devoir n’ont pas hésité à chaque fois à offrir leur vie pour arracher à la mer celle d’un autre.

Elle m’explique ensuite que pendant la guerre, la dernière, alors qu’il était en mer, il avait sauvé deux pilotes allemands, après un combat aérien, l’avion touché par les anglais est tombé en mer.
Son grand-père avait réussi à monter sur l’aile, à extraire les deux pilotes et les ramener à Ouessant. En échange pour le remercier, il avait obtenu la libération de deux prisonniers de guerre français. Un Ouessantin avait été libéré, et il ne sut jamais rien pour le second.

Alors qu’un homme ordinaire n’aurait entrepris aucun sauvetage et personne ne lui aurait des reproches, peut-être même aurait-il eu des félicitations.

Jean se devait de sauver les hommes, il est un médecin de la mer, son serment d’Hippocrate il l’a prononcé au large.
Nous croyons que ses hommes là ne peuvent concevoir qu’un être humain puisse périr noyé sans qu’il ne tente l’impossible, c’est ce que nous nous disons en parcourant le trajet où je vais retrouver mon père.
Que j’aurais été fière d’avoir un père comme lui !

Papa fut agréable, il a bien accueilli Béatrice, Après le repas nous sommes allées dans ma chambre, pour lui parler de Yann.