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mardi 16 octobre 2012

11 - Lire mon île.

Il me semble que l’après-midi va être agréable, le temps reste calme, il ne change pas et l’horizon du noroit au suroit.
Mamie est restée dans la maison, elle trouve toujours quelque-chose à entreprendre.

J’ai envie de lire le livre de Marie Le Franc, « Dans l’île ». Après avoir parcouru quelques pages, j’ai vu que l’action se passait entre Pern et à Ker Nevez.

J’aime lire les livres sur les lieux de leur action, notre île a l’avantage de pouvoir se le permettre, puisqu’il me faut de chez moi, environ 15 à 20mn de vélo pour aller à chaque extrémité. Il en était ainsi pour tous les livres :

A Porz Doun, pour : Le phare, et La lumière enchainée.
A Pern, pour : La mer.
A Penn ar Roc’h, pour : Les îles de la miséricorde.
A Kadoran, pour : Le sang de la sirène.
A Goubaz, pour : Ouessant.
A Porz Paol, pour : Grandeur des îles
A Gwalgrac’h, pour : Filles de la pluie.
A Penn ar Land, pour : Un homme d’Ouessant.
Au Créac’h, pour : Au large d’Ouessant.
Etc. Etc.

Je me suis trouvé un rocher qui me cale bien le dos, et un coussin fait d’herbe et de mousse.
Au fur et à mesure de ma lecture, je trouve des situations déjà lues dans d’autres livres.
Ce n’est pas étonnant, car Odette du Puigaudeau dans grandeur des îles, en a repris des passages.
Je suis surprise, je retrouve encore le personnage de Barba. Décidément, celle-ci est tenace, un peu comme si chaque nouvel auteur avait copié sur les précédents.
Parfois j’en ai assez de lire ces mêmes termes dans les mêmes livres : La proëlla, les goaskeddous, l’île de l’épouvante, la mouliguen, le naufrage du Drummond-Castel et du clocher de lampaul, le Vesper avec les scènes de beuverie collective, le Mikonos et le croisement des moutons.

Même si l’écriture et le style en sont agréables, il n’y rien de nouveau et peu d’originalité. Notre île était-elle donc si petite que cela ? Pour qu’à chaque fois, on y retrouve les mêmes mots, les mêmes aventures passées.
Parfois les termes changent d’orthographe ; (Broëlla au lieu de Proëlla). (Païanet au lieu de Baïanet) et j’en passe.

J’aime lire mon île avec ce mélange d’histoire, de culture, de tradition et de romanesque, même si certaines choses me heurtent.
Béatrice à raison je ne me laisse pas assez bercer, je vis trop fort mon île.
Je me souviens de discussion où elle m’avait dit : les gens de Colmar, de Toulon, et Bayonne se moquent de savoir si les lieux, les choses sont bien orthographiés, ils ne lisent que l’intrigue ou l’histoire, eux, ils veulent rêver.
Je m’aperçois que je pense en lisant et que je ne sais plus ce que je lis, mais où ai-je la tête ?
Je reviens en arrière pour reprendre le fil du roman. Celui-ci raconte des scènes de la vie Ouessantine entre les deux guerres, vers la fin des années 1920.
Mon évolution dans la lecture me fait penser à deux mondes qui n’ont plus rien à voir entre eux, seuls les lieux me sont familiers, les cinquante ans qui nous séparent me paraissent des siècles.

Nos deux jeunesses n’ont rien de commun, je me sens à des années-lumière de Soazic, l’héroïne du roman, comment notre île a pu changer autant ?
Je suis surprise par l’isolement des îliennes à cette période. La connaissance du monde extérieur ne pouvait se faire qu’avec la rencontre des touristes, mais elles semblaient se méfier de certains d’eux, surtout des photographes et des écrivains.
Le livre D’André Savignon ; Filles de la pluie. A visiblement laissé des traces dans la mémoire collective.
Marie le Franc en parle en ces termes : « Toutes redoutaient la publicité et savaient qu’on avait déjà écrit sur elle. Un livre surtout, qui peignait les Ouessantines comme de chaudes amoureuses soulevait leur indignation. Si la plupart ne l’avaient pas lu, elles en citaient le titre et connaissaient suffisamment son contenu disaient-elles pour en éprouver une grande colère, prêtes à régler son compte à l’auteur s’il remettait les pieds dans l’île. »

Je pense que bien que ce livre soit un roman, le paragraphe n’est plus de l’ordre du romanesque, mais découle d’une certaine vérité car j’en avais déjà entendu parler par ma grand-mère. Ces femmes cherchaient en fait un mari pour se sortir de l’île, rien de plus.
Certaines affirmations m’exaspèrent, comme la traduction d’Enez Eusa en : Ile de l’épouvante. Alors que cela veut dire : l’île haute. C’est le troisième livre qui reprend cette fausse traduction.

Je rêve à la vision de cette lecture : « les chevaux aussi suivaient leur fantaisie. Ils galopaient par petits groupes, enivrés de leur liberté, déployant dans leurs ébats, une discipline et un art si parfaits qu’on les eût dits guidés par un dresseur invisible.
Ils suivaient à la file, le même sentier, puis se mettaient à galoper à longues foulées autour d’un champ, comme sur une piste maintenant entre eux les distances et soudain faisant volte-face dans un merveilleux mouvement d’ensemble.
Ils manifestaient par leur hennissement, par le port de leur tête, par l’envol de la crinière et le vif martèlement du sabot leur plaisir d’avoir l’île entière pour jouer, bondir et se cabrer.
L’île sauvage semblait faite pour eux. Le spectacle qu’ils offraient, d’une beauté strictement physique, était enivrant à regarder. »

Ce passage in extenso de son roman me fait rêver, j’imagine très bien voir les chevaux à Pern,
Mais malheureusement cela n’aura plus jamais cours sur notre île. Heureuse, Marie le Franc !
Pensais-je.
Cette autre lecture me faisait moins rêver car je la savais vraie : « tous les quatre avaient à l’épaule une carabine. Ils chassaient des oiseaux de mer. Point n’était besoin de permis. Les jours où les gendarmes du Conquet s’embarquaient pour Ouessant, le vapeur donnait à l’arrivée un coup de sifflet supplémentaire et les fusils ne sortaient pas des maisons. »
Je rage, mais c’était ainsi.

Je retrouve avec plaisir l’ambiance de Prad Meur (le bois près du cimetière) « où les arbres sont miraculeusement remplis de chants d’oiseaux ». Malgré mon jeune âge, j’ai déjà pensé que c’est ici, parmi les oiseaux, que j’aimerais reposer sous terre. Là aussi dans le passage du livre, la réalité a remplacé le romanesque.
Je réalise que je suis presqu’à la fin. Encore vingt pages. Le soleil a baissé, le temps est toujours aussi clément, il m’a laissé un long répit. Le roman n’est enfin qu’une grande partie des scènes de la vie Ouessantine, d’une époque que ma grand-mère a partiellement connue.

Je repense à l’image des chevaux dans la lande sauvage, c’est sûrement cette vision qui me restera de ce livre.

Souvent en regardant vers Molène, j’imagine l’irlandais Trompilh jetant son bateau sur les pierres vertes pour se venger des Anglais. C’est cette action qui me reste du naufrage du Drummond-Castel et des deux livres écris sur ce drame : Les Pierres Vertes. De Le Goffic.
Les îles de la Miséricorde. De Queffelec.

Ou encore lorsque je regarde les phares de Kéréon, et de la Jument en pensant à ces hommes de la solitude, je revois les scènes décrites par le Cuff dans feux de mer.
Oui j’aime lire mon île et je sais qu’un jour j’écrirai sur elle. Quoi ? je ne sais pas encore, mais ce qui est sûr, c’est que je ne réécrirai pas les livres des autres.

Le soleil est bas, avant de retourner chez ma grand-mère, j’ai envie de voir son coucher sur les rochers du Créac’h. Leurs formes aiguisées frappées par le soleil rouge, fait croire à des flammes s’élevant dans le ciel.

C’est à cette heure de la journée que les rochers entre Pern et Yusin sont les plus fantomatiques voire fantasmagoriques.
Que doivent penser les marins à cette heure lorsqu’ils croisent les côtes d’Ouessant ?
Déjà que j’arrive à lire les noms des navires sans jumelles.

Le soleil va bientôt disparaître vers un autre univers, je rentre