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mardi 16 octobre 2012

5 - Les Oiseaux de Porz Doun.

La grève de Porz Doun est en plein sud-ouest, face au phare de la Jument, et à l’extrémité de la pointe de Feunteun Velen.

Cette anse continuellement roulée par la houle et balayée par les vents, n’offre aucun abri possible.
Étant dépourvue de la moindre vasière, il ne devrait s’y trouver que peu d’échassiers, pourtant c’est l’inverse.

L’endroit est toujours visité par des oiseaux, ils y trouvent là une abondante source de nourriture, surtout des moucherons et autres puces de mer, il faut dire que le monticule d’algues pourrissant sur la grève est survolé par une importante nuée de petits insectes en tout genre.

A marée basse, la mer découvre très loin et au-delà du vapeur dont il ne reste que les deux chaudières.
Sur ces dalles disjointes et chaotiques, couvertes d’algues glissantes, il est rare de voir d’autres personnes que des pêcheurs de petit goémon, car l’on y est jamais stable.

A marée haute, les vagues se brisent sur les goémons en décomposition, faisant ainsi ressortir des effluves nauséabonds. Les légers bécasseaux picorent ainsi leur nourriture sur ces îlots flottants au gré du ressac et des brisants.

Ces éléments en font un endroit propice pour les oiseaux de rivage, elle est une des rares grèves où ils peuvent trouver la quiétude. C’est ainsi le paradis pour les courlis, barges, huitriers, chevaliers, tournepierres, bécasseaux et parfois quelques autres à la recherche de protéine en abondance sur le chemin migratoire.

Jean-Yves et Yann y sont installés, assis et bien calés contre des gros galets, ils cherchent ce rare bécasseau semi-palmé dans cette vaste monochromie, en les observant tous un à un. 

Ces deux sarthois d’origine ont la complicité de centaines d’heures d’observation, peu de mots suffisent. Les noms d’oiseaux deviennent des abréviations, tel bv, pour bécasseau variable, quelques fois les termes chevalier, bécasseau, ont disparus et il ne reste que le second nom, aboyeur, gambette, violet, minute voir semi-palmé etc…

Il suffit parfois qu’un des deux regarde dans une direction pour que l’autre, dans le seconde qui suit, en fasse autant et tombe sur le même oiseau.

L’œil rivé sur l’oculaire des puissantes longues-vues, aucun des deux n’observe ailleurs avant d’avoir trouvé l’oiseau. Pour l’un comme pour l’autre, l’identification équivaut à la découverte d’une espèce nouvelle, c'est-à-dire, dans le jargon ornithologique, à une coche sur la liste du guide « Peterson ».

Fondu dans le paysage, Jean-Yves et Yann ne sont plus une crainte pour les échassiers qui eux, sont en perpétuelle recherche de nourriture.
Dans le clame de la grève, une voie éclate :
- Yann, je crois que je l’ai

Yann regarde la longue-vue de Jean-Yves et aussitôt, cale la sienne dans la même direction.
- Dès que tu auras une barge rousse, tu me fais signe, dit Jean-Yves.
- Ok, c’est bon répondit Yann.
- Sous elle, à gauche tu as trois tournepierre.
- J’ai.
- Devant ceux-ci, tu as des bv, à droite, un juv.
- J’ai.
- Regarde bien, juste devant, tu as un rocher… tu dois avoir une tête…le semi-palmé est en contre bas, derrière.
- Tu as une rieuse qui marche vers lui, regarde bien…top, dit-il fermement.
- Ok, Jean-Yves, c’est bon, je l’ai, certes ce n’est pas un minute.
- D’après-toi Yann !?

Le ton de Jean-Yves cherche une confirmation, Yann sceptique dit : 

- Encore un peu difficile, il faudrait voir les pattes. Jean-Yves je lâche, je sors les guides.
- Ok

Cela aussi est un automatisme entre les deux, prévenir l’autre lorsque l’un quitte l’observation afin de ne pas risquer de perdre un oiseau.

Yann ouvre donc les deux guides aux pages correspondantes, bien qu’amateur averti, il a le souci du professionnel, il est pointilleux, ne laissant rein au hasard, ne se contentant pas d’un petit rien pour en faire un tout, il a l’approche rigoureuse, scientifique.


- je reprends….dit-il.
- Ok, répondit Jean-Yves.

Après un long moment, le bécasseau se pose sur un gros galet rond, les pattes bien en évidence.
Il y a parfois des instants de chance, voir de magie, c’est toujours un cadeau malgré les heures de patience et de ténacité.

- c’est bien lui.
- Magnifique rajoute Jean-Yves.
- Les palmures sont nettes, dit Yann…aucun doute possible, la semaine commence bien.

Yann relève l’œil de la longue-vue et hilare tend la main à Jean-Yves et lui dit :

- Aller tape.

Jean-Yves toute aussi joyeux, frappe la main de Yann puis tourne la sienne pour une seconde frappe. 
Le regard de Yann est soudainement attiré par l’arrivé d’un cycliste. Jean-Yves se retourne, se lève doucement et dit :
- C’est Muriel, quelle chance ! et ajoute 
- Nous l’avons vue sur le bateau.
- Oui, Oui, je me rappelle….